Naître de l’infime, Henri Duhamel, 2023

Communiqué de presse –  Naître de l’infime – Centre d’art  l’H du Siège, Valenciennes

Accueillie à L’H du Siège en 2005 dans le cadre d’une résidence coup de pouce, Laurence Nicola revient à Valenciennes quasiment vingt ans après pour son exposition Ricochet intitulée Naître de l’infime.

Dans sa vidéo-performance Le bousier, elle propose par son action en bord de mer une métaphore de l’artiste au travail. Elle emprunte le titre de son oeuvre au célèbre scarabée coprophage. Celui-ci récolte des déchets organiques à l’aide de ses pattes arrière et de ses mandibules pour façonner des pelotes grossissantes qu’il fait rouler jusqu’à son habitat (en guise de nourriture et de matériaux de construction). Comme le coléoptère, il s’agit pour l’artiste de collecter, d’amasser les restes de la laisse de mer (bois flotté, algues, déchets organiques et plastiques…) pour en faire une ressource et un trésor.

Résidant et travaillant à Saint-Malo depuis une dizaine d’années, le littoral côtier et ses transformations sont pour elle un terrain de jeu, d’exploration et d’émerveillement. Un réservoir de possibles. Sa méthode est à la fois basée en extérieur – avec itinérance et collecte de ce qu’elle nomme des ready-made naturels – pour, de retour à l’atelier, venir ordonnancer le fruit de ce qu’elle a glané. À l’instar de La Charogne de Baudelaire, mais à l’ère de l’anthropocène, il est question de prendre en considération et de sublimer le rebut et l’altéré, ce qui peut dégouter, ce qu’on ne veut pas voir ou qui est invisible à l’oeil nu. En effet, au-delà des déchets directement visibles et de la pollution, nous sommes entourés ou imprégnés en permanence de microplastiques, qu’il s’agit de l’eau que nous ingérons, de l’air que nous respirons, de la terre que nous sillonnons.
Ces différents éléments glanés sont souvent présentés isolément, mis en valeur et magnifiés. Empruntant aux dispositifs scientifiques et naturalistes, ces récoltes sont tantôt organisées sur le mode des planches d’entomologistes, classées dans des vitrines ou des boîtes, mis en lumière dans des dispositifs de visionnage et rétroéclairés (lentilles, tables lumineuses…) ; ou alors de manière plus fantastique sur le mode de l’assemblage (présentoirs en bois tourné, sous cloche ou sur miroir…), non sans rappeler le foisonnement des cabinets de curiosité. Une des autres options est de réparer ou panser ces fragments collectés dans une perspective de soin et de résilience. La plasticienne s’inspire, entre autre du Kintsugi, technique ancestrale japonaise qui sublime les failles en soulignant les brisures avec de l’or. 

Faisant sienne la définition du rôle de l’artiste du poète Francis Ponge selon qui un artiste est un « horloger » qui doit « ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde », Laurence Nicola est aux antipodes de la figure d’un créateur démiurge et omnipotent. L’espèce humaine faisant partie de la Nature, l’artiste se définit en passeuse, qui crée avec la Nature, son concours, en toute humilité. 

Ainsi, elle recrée de manière anachronique de fausses céramiques brisées à partir de morceaux de plastiques semblables à des tessons, inventorie de nouvelles pierres, révèlent des images fossiles sur des plaques minérales de mica. Les plastiglomérats, les pyroplastiques* deviennent pierres précieuses aux côtés d’algues et d’os de sèche, des plaques de polystyrène parcheminées deviennent coraux, des débris de toutes natures voisinent avec le béton cellulaire. Le tout engendre autant de géologies extraordinaires, de cartographies colorées, de géographies fabuleuses. Pour elle, il s’agit de « penser le déchet comme une trace, un témoignage » lui permettant « d’imaginer une archéologie du futur ». De là se génèrent et se déploient des paysages fantasmagoriques, des visions merveilleuses : « un monde vivant et minéral où le naturel et l’artificiel coexistent ». Sans confronter une Nature vierge et sanctuarisée à un monde obsolescent en plein effondrement, Laurence Nicola fait avec ce monde abîmé, mêlé, complexe au sein duquel l’opposition Nature et Culture ne fait plus sens. Familière de la pensée de Bruno Latour et inspirée par les récits de Donna Haraway, il s’agit de « vivre avec le trouble »**, de prendre acte de ces bouleversements contemporains. Partir de l’existant, pour célébrer cette impureté constitutive du vivant et de l’environnement comme ressources de création.

En se projetant dans les œuvres de Laurence Nicola, il y a, selon ses dires une « fascination à s’extraire du monde tel qu’il est pour se réfugier dans une image qui est belle », sans exclure une forme d’inquiétante étrangeté.

Naître de l’infime, c’est partir de l’infiniment petit, de l’insignifiant, du fragmenté, du détérioré. C’est le rêver, le fantasmer, le transformer. Perdre tout repère d’échelle entre le microscopique et le macroscopique. « Voir un monde dans un grain de sable. Et un Ciel dans une Fleur sauvage. Tenir l’Infini dans la paume de la main. Et l’éternité dans une heure. » nous dit William Blake.

Partir de l’infime donc, qu’il soit trivial ou insignifiant, et à partir de là, essaimer des mondes et des métamorphoses infinies.

* Les plastiglomérats sont des agglomérats de débris de plastiques qui sous l’effet de la chaleur (incendie, feux de camps…) coagulent avec des éléments naturels (bois, sable, coquillages, roches…). Les pyroplastiques ressemblent à des roches mais  proviennent exclusivement de dérivés plastiques industriels de type polyéthylène, polypropylène.

** Titre de l’ouvrage de Donna J. HARAWAY, Vivre avec le trouble, 2020, éditions des mondes à faire.